6ème DAN, titulaire du Brevet d'Etat niveau 2.
Fondateur du club.
Les débuts dans la discipline : « les premiers pas »
- Gérald, à quel âge as-tu débuté la pratique de l’aïkido ?
- Quelle pouvait-être la motivation pour pratiquer un art martial à l époque où tu as débuté ?
J'étais auparavant judoka depuis quatre ans. Mais je recherchais avec quelques autres judokas lyonnais, dont mon frère, une pratique plus complète et plus proche de la self-défense et du jiu-jutsu. Je pense que beaucoup de pratiquants d’arts martiaux (qui se résumaient essentiellement à l’époque en France, ne l’oublions pas, au judo & jiu-jitsu, karate et aïkido, celui-ci étant encore très peu répandu) cherchaient l’efficacité et la vérité de l’action, secondairement la philosophie et la voie. Par contre, après 1968 et le développement des mouvances écologistes et non violentes, certains budokas, surtout en aïkido, se sont orientés vers une recherche plus ésotérique, voire mystique, oubliant parfois ce qui faisait l’intérêt original des arts martiaux japonais. On est arrivé, je crois et j’espère, à un meilleur équilibre aujourd’hui.
- Avais-tu pratiqué d’autres arts martiaux auparavant ?
Oui, le judo, de façon plus ou moins continue depuis l’âge de 14 ans.
Plus tard, en 1975, alors que j’étais déjà passé à l’aïkido, je dus pratiquer le karate pour l’examen du brevet d’Etat d’aïkido qui comprenait, à l’époque, les trois disciplines : judo, karate, aïkido. Je m’initiais aussi au kendo (voie du sabre) et au jodo (voie du bâton contre sabre), mais c’est principalement le ïaïdo que j’approfondissais, notamment à la fin des années 70 et au début des années 80. Me Tamura nous y avait initiés pendant les années 60-70 et nous incitait à le pratiquer plus assidûment afin de mieux comprendre le maniement et le sens du sabre.
- Racontes-nous tes débuts dans l’aïkido.
La rencontre avec les maîtres Nakazono et Noro en 1964 fut un éblouissement inattendu, renforcé par l'arrivée de Me Tamura. Je découvrais des formes merveilleuses, fluides et puissantes, allant au-delà de simples techniques de combat. C'est ainsi que parallèlement à un entraînement très régulier au Judo Club du Rhône dirigé par deux pratiquants plus anciens dont Bernard George-Batier, j'ai suivi tout aussi régulièrement des stages en cours d'année ou durant les étés à Annecy avec Me Nakazono et Tamura, parfois Me Tada. La pratique était intense sur les tatamis. (Une vidéo du club sur DVD donne un aperçu du travail avec les maîtres à cette époque). Je dus abandonner le judo par manque de temps et baisse progressive d’intérêt.
Plus tard, après mon 2° kyu, je dus aussi ralentir voire abandonner les entraînements d’aïkido plusieurs années, de fin 1967 à 1973, ce qui ralentit mes progrès et m'empêcha de passer mon 1° dan rapidement, contrairement à mes camarades de l'époque comme Jacques Echavel (qui a enseigné dans notre club quelques années) ou Alain Peyrache (ancien cadre technique de la FFAB qui a créé l’EPA en dissident). Je repris intensivement la pratique à mon retour de l'armée fin 72. Entre-temps le stage d'Annecy avait été remplacé par le stage de Villefranche-de-Rouergue avec Me Tamura seul, puis parfois Me Chiba ou Me Sugano. Au cours des années 70, nous retrouvions souvent Me Tamura dans la région lyonnaise où la ligue du Lyonnais accueillait aussi Me Chiba ou Me Sugano. Dans un autre cadre, Me Noro venait régulièrement animer un stage à Mâcon. Bref, on ne manquait pas d'experts et, chance inouïe, nous n'étions pas encore très nombreux à suivre leurs cours.
- Comment était la pratique de l’aïkido à cette époque : Installations, méthodes d’enseignement, pratiquants etc.
Les tatamis étaient assez durs pendant les stages d’été (beaucoup d’entre eux, traditionnels, étaient en paille de riz). Il fallait apprendre à chuter en douceur sur les bosses…
La méthode d’enseignement était très traditionnelle, à la japonaise (peu de discours, répétition, correction, répétition ; diverses formes de travail, jiu waza, randori avec plusieurs uke, pratique régulière des armes). Comme aujourd’hui dans notre club, en somme !..
Les pratiquants, dans leur ensemble, étaient très motivés, réguliers à l’entraînement, persévérants. Sans doute plus qu’aujourd’hui !
- Qui a été ton premier enseignant ?
Bernard Georges-Batier (voir plus haut), Louis Ottina (qui a abandonné à la fin des années soixante) et, bien sûr, les maîtres japonais lors des stages nombreux que nous suivions à Lyon ou ailleurs.
- Te souviens-tu de ton premier cours en tant que pratiquant ?
Oui, au stage d’Annecy de 1964, avec Me Nakazono et Me Noro. Sachant que nous étions judokas, certains partenaires, un peu plus anciens, voulaient nous montrer l’efficacité de l’aïkido en nous appliquant des kotegaeshi foudroyants. Et nous devions, bien sûr, remercier ces sampaï pour cet apprentissage généreux…
Trouver, enseigner la voie …
- Quand as-tu commencé à enseigner ?
En 1973, on m'a demandé de remplacer Guy Sacq (un ancien comme moi) qui quittait Lyon en laissant vacante la direction d'un club créé par B. George-Batier et dirigé aujourd’hui par Robert Dalessandro depuis la fin des années 70 (le CS Doua). Je n'étais que 2° kyu, mais j'avais déjà pas mal d'ancienneté en aïkido, ayant fait partie des pionniers à Lyon, et, de toute façon, il n'y avait pas beaucoup de pratiquants susceptibles de diriger un cours à cette époque. Je passais mon 1° Dan l'année suivante et le brevet d'Etat dans la foulée. J'étais bénévole mais, cherchant à l'époque du travail, je me disais que le BE me permettrait peut-être de vivre de l'enseignement de l'aïkido, ce que, finalement, je n’ai jamais eu à faire.
L’enseignement m'intéressait beaucoup (j'avais été professeur de mathématiques avec un plaisir identique) et me permettait de progresser plus rapidement en m'obligeant à me poser beaucoup de questions sur les techniques et à être très rigoureux dans mes propres entraînements à la MJC de Villeurbanne où j’avais retrouvé mon professeur B. George-Batier.
Je dus passer moi-même la main fin 1975 car ma nouvelle profession m'obligea à aller à Paris pendant deux ans. En 1983, quelques années après mon retour à Lyon soit dix ans après ma première expérience d'enseignement, la ligue du Lyonnais, en la personne d’Alain Peyrache alors RTN (Responsable Technique National), me poussa à ouvrir un club car il fallait assurer le développement de la toute nouvelle FFLAB (Fédération Française Libre d’Aïkido et Budo devenue plus tard FFAB) créée un an avant, contre vents et marées, autour de Tamura senseï. Voilà comment est né l'Aïkikaï de Lyon dont je fus le fondateur et le professeur. Je n'ai pas arrêté depuis, toujours en bénévole, et me suis efforcé de développer ce club sur divers plans.
- Te souviens-tu de ton premier cours en temps qu’enseignant ?
Pas précisément mais je me souviens que j’avais à faire à des élèves en général sportifs et musclés (jeunes étudiants), souvent « coriaces », heureusement en général gentils. Mais j’étais moi-même jeune et sportif !
- A quel moment vous êtes vous décidé à poursuivre dans cette voie et à vouer une grande partie de votre temps à cet art ?
Assez vite, quand je compris les avantages de la pratique, malgré les inconvénients.
Les avantages sont multiples. Outre une souplesse de corps et d'esprit, une capacité à bien utiliser l'énergie et bien d'autres bénéfices physiques et mentaux, cette activité permet de mieux appréhender les rapports de soi-même avec le monde et de vivre mieux en « harmonie » avec les autres, sans illusion cependant car c’est parfois compliqué, tout en préservant son intégrité et sa personnalité.
Accessoirement mais utilement, elle permet aussi de maîtriser la peur et d'oser affronter l'adversité et l'agressivité humaine, voire de la Nature. (Expériences vécues…)
Les inconvénients sont inhérents à la pratique de tout art martial : blessures diverses, risque de développer un ego démesuré en se prenant pour un samouraï, subjectivisme, confusion entre les moyens et la fin, oubli de la fin etc.
Par ailleurs, je décidais de poursuivre l’enseignement et d’y passer du temps, quand je compris qu’enseigner c’était transmettre le plus fidèlement possible l'art du fondateur, UESHIBA Moriheï, notamment à travers l’enseignement de Me Tamura.
Personnellement et comme beaucoup de vétérans, je connaissais l’art d’O Senseï à travers des enregistrements visuels (vidéos et photos), des transcriptions de ses paroles ou de ses rares écrits, de quelques témoignages oraux de gens des années 50-60 ayant eu la chance de s'entraîner à Tokyo avant sa mort (1969). Mais je l’ai connu principalement grâce à l'enseignement d'experts comme les Maîtres Noro, Nakazono, Tamura, Tada, Chiba, Sugano, Suganuma, Saïto, Kobayashi etc. pour la plupart "uchi deshi" (« élèves de l'intérieur ») avant d'être chargés, pour certains, de diffuser dans le monde l'art de leur maître. Je précise cependant que Me Tamura représente pour moi le modèle à suivre depuis que je l’ai connu en 1965.
Ce qui me paraît important aussi et me plaît, c’est d’inciter les pratiquants à se cultiver sur l'origine de cet art martial et, par extension, sur la civilisation japonaise et son histoire, afin de ne pas idéaliser les arts martiaux et de comprendre ce qu’il y a de révolutionnaire dans l’aïkido, créé véritablement, ne l’oublions pas, à la fin de la deuxième guerre mondiale.
J’aime aussi être attentif à la compréhension et à la progression des élèves (grades et évolution générale), détecter ceux qui ont de grandes capacités et/ou qui sont susceptibles de devenir eux-mêmes enseignants. C’est difficile mais passionnant.
- Quelques anecdotes, souvenirs ?
Mes meilleurs souvenirs sont ceux des entraînements de ma jeunesse, quand je découvrais cet art et que j'avais encore toutes les facultés liées à mes vingt ans.
Et aussi, à la même époque, dans le cadre d’une diffusion intensive de notre discipline, le plaisir teinté d’orgueil lorsque, dans les années 60, j’accompagnais, en tant qu’Aïte, Bernard Georges-Batier pour animer des stages à droite et à gauche ou faire des démonstrations au Palais des Sports de Lyon rempli d’un public exigeant de budokas.
Souvenirs aussi des liens tissés à cette époque avec d'autres pratiquants et avec les maîtres japonais, certains hélas déjà décédés. Que de nostalgie et de tristesse liées à ces souvenirs !.. Le décès de Me Tamura en 2010 m’a profondément affecté, ainsi que celle, fin 2012, de Bernard George-Batier, ancien camarade et premier professeur.
De manière générale, j'ai beaucoup de plaisir à sentir qu'une technique a bien marché (pas d'effort pour la réaliser et bon résultat, c'est-à-dire efficacité maximum). C'est un plaisir hélas rare, jadis éprouvé en judo lorsqu’en randori j'avais pu projeter mon adversaire sans l'avoir vraiment décidé, spontanément, sans calcul et...sans effort. En aïkido, c'est un peu différent car il n'y a pas de compétition pour éprouver vraiment ses capacités, mais l'on se rend compte, avec l'expérience, si une action fonctionne bien ou non.
Je suis aussi heureux d'avoir pu être jugé par Me Tamura lui-même dans ma progression. Mon premier et seul examen de Kyu, le 2° en 1967, et mes passages de Dan, du 1° au 5°, sauf le 2°, l'ont été sous sa supervision. Je regrette qu’il n’ait plus été là pour juger celui de mon 6° Dan.
Sur le plan pédagogique, je suis content et fier d'avoir pu faire progresser un certain nombre d'élèves jusqu'à de bons niveaux de compréhension.
Inversement, mes pires souvenirs sont attachés aux difficultés rencontrées dans ma pratique, quand rien ne semble marcher, quand j'ai soudainement peur, quand je me blesse bêtement, quand je ne comprends pas ce qui bloque ma technique.
Plus généralement, il est triste d'avoir l'impression de stagner ou de ne pouvoir, malgré de nombreux efforts, aider des élèves à progresser. Mis à part cela, pas de souvenirs vraiment horrifiques !
- Un message aux pratiquants…